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Retour des Temps Gnostiques

Platon distinguait ainsi entre croyance ou opinion (doxa) et savoir (épistémè). La croyance est connotée négativement comme un savoir incertain. Dans d’autres cas, au contraire, comme celui des croyances religieuses au sens large et aussi superstitieux, la croyance est l’affirmation catégorique d’une certitude, d’autant plus forte qu’elle porte sur un savoir incertain ou même inexistant : on croit dur comme fer en l’existence de Dieu, en celle du diable, en la venue du Messie, en la divinité du Christ, en la lutte des classes comme moteur de l’Histoire, en la vie après la mort, en la réincarnation, etc.

Un savoir, ou une connaissance est forcément supposée vraie : une connaissance fausse n’en est pas une. Au contraire, une croyance peut être vraie ou fausse. Il est difficile de parler de connaissance du surnaturel ; mais beaucoup affirment croire au surnaturel. Une  croyance religieuse relève d’expériences difficilement dicibles et partageables, qui  s’appuie sur des raisons plus ou moins mystérieuses et inaccessibles à la Raison, les « raisons du cœur », de Pascal, « que la raison ne connaît point ».

Le christianisme est une croyance qui a inventé la notion de religion telle que nous la connaissons aujourd’hui, reposant sur un acte de foi en des mystères, foi dont l’origine, grâce divine ou autre, est elle-même mystérieuse. Ces mystères de la foi sont très différents de ceux des cultes grecs anciens, comme ceux des rites d’initiation à Éleusis et des oracles de la Pythie à Delphes, en ce que justement ceux - ci n’étaient mystérieux que pour ceux qui n’y étaient pas initiés. Ces mystères païens constituaient une forme élevée de savoir appelé la "Gnose" c'est à dire la "connaissance" en Grec, réservée à ceux qui avaient la capacité d’y accéder, parmi lesquels parfois de grands philosophes de l’époque, tels Plutarque ou Cicéron.

Le monothéisme n'est pas le monopole des religions abrahamiques (Judaïsme, Christianisme et Islam). Les anciens Grecs, les Gaulois (considérés comme pythagoriciens par Jules César) et les traditions indiennes n’avaient pas attendu les religions monothéistes pour concevoir une unité divine sous la forme d’un Être suprême ou de l’Un (Platon) ou du premier mouvement (Aristote) ou  le Brahman un et indicible. Les initiés Egyptiens aussi croyaient au Dieu Unique malgré une apparence de polythéisme avec les Néters. Les Néters étaient des caractéristiques de Dieu et non plusieurs Dieux, ils incarnaient les différents aspects du même être. Un homme peut être enseignant, père et mari en même temps sans être plusieurs personnes. Le polythéisme est un moyen de communication en fonction de son niveau d’évolution mentale. Le peuple, à besoin d’histoires simples avec plein de symboles et  des personnages fantastiques. Les idées étaient exprimées dans des mythes sous forme d’histoires. Le mythe est une histoire fantastique qui permet une révélation facile imagée à l’homme. Les mythes de son vivant que parce que l’on croit en eux. Ils font intervenir des personnages symboliques avec des formes qui rappellent leurs fonctions. Les mythes révèlent la réalité de la nature humaine sans avoir recours à l’aridité et à l’abstraction de la philosophie et de la métaphysique. Le peuple connaissait par les mythes de façon de résoudre ses problèmes. Un second niveau d’information était réservé aux initiés gnostiques où les mêmes thèmes sacrés étaient expliqués d’une manière plus concrète et l’enseignement est connu uniquement que par les grands maîtres et les personnes de haut rang.

Des philosophes juifs comme Philon d’Alexandrie et des maîtres du Talmud dans les premiers siècles de l’ère chrétienne avaient été autrefois imprégnés de culture hellénistique, du fait qu’ils étaient confrontés à la « fin de la prophétie », c’est - à - dire au passage du monde des anciens Hébreux, dont la société avait été organisée autour des récits miraculeux du mythe biblique, à un monde sans révélation prophétique ni oracle ; et dans ce monde nouveau, le rapport des croyances à la vérité avait changé de nature ; il était aussi devenu l’affaire de professionnels de la vérité, dits talmidei‘hakhamim, « élèves de sages », version hébraïque des « philosophes » amis de la sagesse, en bref une version "gnostique" du judaïsme. Le judaïsme talmudique allait devenir une théologie monothéiste rationnelle. A partir du IIe siècle, ce ne sont plus des individus isolés, mais de véritables écoles et de véritables groupes qui se forment afin de s’initier, de comprendre, d’expérimenter et de transmettre l’enseignement secret. L'étude du talmud est une expérience mystique par laquelle l’initié, après les épreuves et les préparations, entreprend son ascension jusque dans le septième ciel où il rencontrera le Trône divin. Les textes des « Visions d’Ezéchiel » nous montrent même l’une des étapes importantes de l’histoire de cette connexion, où chacun des sept cieux est doté d’un Char divin ou Merkabah.

Le rôle de la théologie et des articles de foi dans le judaïsme est beaucoup plus ambigu. Les premiers articles de foi n’y ont été énoncés qu’au Xe siècle, par Saadia ben Yossef Gaon, probablement sous l’influence des environnements chrétien et musulman. Et deux siècles plus tard, Maïmonide, lui aussi en milieu arabo-musulman, élabora une théologie juive et tenta d’imposer la croyance en ses fameux treize articles de foi comme obligation religieuse. C’est ainsi que le judaïsme comme théologie et religion date de cette époque, alors qu’il ressemblait beaucoup plus auparavant à la religion civile des Grecs et des Romains. Maïmonide créa une religion juive monothéiste fondée sur des articles de foi associés à une réflexion philosophique et à une rhétorique censée les justifier. Il existe certes une religion juive, mais ce n’est qu’un aspect du judaïsme. Enfin, il faut noter que le mot « religion » avec ce sens n’existe pas en hébreu ancien. Des travaux récents par des chercheurs spécialistes d’études juives nous en apprennent beaucoup sur cette histoire de l’évolution du judaïsme vers ses formes contemporaines et on y apprend comment il n’existait pas d’orthodoxie théologique juive avant Maïmonide.

Au Moyen Age, la Kabbale la gnose mystique juive, naturaliste, émanationniste et panthéiste vint s'ajouter au talmud qui a redonné sens et vie au judaïsme rabbinique. Les initiés kabbalistes des siècles postérieurs placeront leurs écrits sous l'invocation des maîtres du talmud. Le livre kabbalistique Habahir qui apparut au XIIe siècle en Provence a été écrit par Rabbi Nehounyah Ben Haqanah, une des plus grandes autorités de la mystique du IIe siècle. De même le Zohar lui-même, paru à la fin du XIIIe siècle en Espagne, a été l’œuvre d'un maître du Talmud Rabbi Chim”on Bar Yohay. Quoi qu’il en soit, il est évident que la mystique juive naquit en Terre sainte. La kabbale est chargée de ramener les initiés vers le judaïsme pré-religieux philosophique épuré des fables miraculeuses de la Torah destinées au peuple de base. La sagesse de la Kabbale est une science, et un kabbaliste est un scientifique. Cela signifie qu’un kabbaliste est un vrai naturaliste, il étudie la nature, mais à un niveau plus élevé que l’humanité car cela a été donné à l’homme. Il étudie la nature non pas au niveau du minéral, comme la physique, pas au niveau du végétal et l’animal comme la biologie et la zoologie, mais au niveau supra-humain, au-delà de toute la nature de notre monde, au-dessus de l’égoïsme.

Le Dieu de la kabbale et de Spinoza est immanent, il est l'Âme ou l'Esprit du monde (le spinozisme est un spiritualisme, aussi opposé au matérialisme qu'à l'idéalisme) en bref la nature. Ce Dieu imprime au cosmos un sens, une intention, une volonté qui s'opposent au pur hasard dans l'univers. Le Dieu de Spinoza comme celui de Nietzsche ou d'Einstein, est tout à l'opposé du Dieu personnel des monothéismes. Ce Dieu et est en dehors du temps, il ne veut rien et n’exige rien, nous sommes loin ici du concept puéril du vieillard barbu et colérique. Dieu est ainsi Cause Première, Architecture primordiale de la Gnose. Les Lumières en Europe marquent le retour de la Philosophie gnostique contre le Catholicisme avec ses croyances dogmatiques en la Trinité et l’incarnation.

La Gnose est une rébellion contre la réalité, contre la Vérité. Pour certain groupes gnostiques "le monde" est mauvais et il faut tout faire pour s'en échapper et s'en détacher ou bien il doit être totalement maîtrisé par "le Progrès" pour en limiter les effets négatifs et construire un paradis sur Terre. La gnose moderne issue de la Kabbale avec son dernier avatar la « Franc-maçonnerie » propage les valeurs philosophiques issues du siècle des Lumières,  en inversant toutes les valeurs chrétiennes et fait ainsi glisser la société occidentale progressivement vers la décadence. En effet la philosophie a désacralisé l'idée de Dieu et c’est désormais l’Homme qui subjectivement décide du Bien et du Mal en fonction de son affect ou idéologie. La rébellion gnostique moderne se définit par la formule de Descartes « Je pense, donc je suis » où un vrai Chrétien aurait dit « Je suis, donc je pense. »

Eric Voegelin, philosophe américain d'origine autrichienne et spécialiste de philosophie politique, son livre « Les religions politiques » est fruit de ses méditations sur les idées de progrès et d’humanité véhiculées par les Lumières, qui sont censées avoir mis fin à la barbarie et à l’obscurantisme du Moyen Âge. Pour Voegelin, la modernité lui apparaît comme la victoire du gnosticisme. Selon lui, la vision gnostique devient hégémonique en Occident avec les Lumières et « les temps modernes seraient plus justement appelés Temps gnostiques ». Le monde moderne se veut radicalement différent des époques précédentes. L’accumulation des connaissances inaugure une ère nouvelle, avec la promesse pour l’homme de devenir « maître et possesseur de la nature ». Il pose une rupture avec le passé et son lot de bizarreries médiévales, de superstitions moyenâgeuses, et même son monarchisme despotique. Et tout l’héritage de l’avant est jeté aux oubliettes. Au mieux, le moderne entretien avec le passé un rapport de conservation ou de muséification. L’idéologie du progrès est ancrée en l’homme moderne, appuyée par le darwinisme, que la marche en avant va de pair avec l’amélioration de notre situation. Le passé est obscur et révolu, le moderne aussi déteste le monde tel qu’il à été créé. La nature est mauvaise, il suffit de considérer la douleur, la souffrance, la misère, les épidémies ou les catastrophes naturelles ; et chez l’humain, la violence, l’injustice, le crime, la haine, la barbarie, la guerre ou le mensonge, mais grâce au progrès l’avenir sera forcément radieux et paradisiaque. D’où les deux dernières grandes idéologies gnostiques de l’ère moderne : l’écologie radicale et le transhumanisme avec d’un côté l’extinction volontaire de l’homme, ou au moins la diminution drastique de son empreinte écologique et de l’autre, la fabrication de l’homme augmenté.

Source : « Croyances. Comment expliquer le monde ? » d’Henri Atlan

Source : « Histoire des Hérésies » de Pierre de Meuse.

Source : « En quête de la gnose » de Charles Henri Puech

Source : http://www.noetique.eu/billets/2012/spinoza

Source : http://laitman.fr/2015/08/01/un-naturaliste-du-monde-superieur/

Source : « La mystique du Talmud » d'Armand ABECASSIS

Tag(s) : #Gnose
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